Tu seras agricultrice ma fille !

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En 1970, seulement 8% des exploitations agricoles françaises étaient dirigées par des femmes. 40 ans plus tard, cette proportion est de 27%. Même si la majorité des femmes à la tête d’une exploitation le sont en compagnie de leur mari, ces chiffres montrent qu’elles prennent de plus en plus de responsabilités dans le milieu agricole français.
Agricultricesource : pixabay

La relative féminisation du système agricole français accompagne sans doute pour partie une évolution sociétale de la place de la femme dans le monde du travail, qui se manifeste par des prises de responsabilité et une évolution des métiers traditionnellement réservés aux hommes ou aux femmes. Concernant le cas spécifique de l’agriculture, différents outils ont permis aux femmes d’accéder à une meilleure place. Le premier acte fondateur a été la création de l’EARL (Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée) en 1985. Ce statut a permis à des époux d’être les seuls associés sur une exploitation, et ainsi d’accorder un véritable statut professionnel à la femme de l’agriculteur. Elles en étaient jusqu’ici dépourvues, et considérées par la loi plutôt comme des femmes d’agriculteurs que des travailleuses du monde agricole à part entière.

Une distribution genrée des activités agricoles non remise en cause

En 1999, une autre loi, celle d’orientation agricole, permet un nouveau progrès : le statut de conjoint collaborateur. Sa création a donné un statut professionnel aux hommes ou aux femmes qui travaillaient sur l’exploitation et en qui étaient jusque-là dépourvus. Enfin, en 1999 toujours, la même loi reconnaît un élargissement des métiers traditionnels de l’agriculture. Des activités comme l’accueil, la vente, la transformation de produits à la ferme ou l’agrotourisme sont reconnues. L’agriculture n’est alors plus purement une activité technique de production. Cette reconnaissance profite en grande partie aux femmes, traditionnellement plus portées que leurs homologues masculins vers ce type de métiers. Si ce progrès est reconnu par beaucoup, il reste cependant insuffisant aux yeux de certaines. « La valorisation des compétences relationnelles et de soin ne s’accompagne pas d’une remise en cause de leur distribution genrée » regrette Clémentine Come, doctorante en science politique au Centre de Recherche sur l’Action Politique en Europe, basé à Rennes. Selon elle, on peut regretter que « cette ouverture de la loi à de nouvelles activités permet une meilleure reconnaissance des femmes dans l’agriculture, mais ne permet pas de changer en profondeur les mentalités qui gênent leur accession aux rôles de leurs choix », comme par exemple des fonctions plus techniques, considérées à tort comme masculines. Il arrive même régulièrement que la crédibilité d’un projet soit remis en cause par la profession s’il est porté par une femme, y compris dans le cas d’une transmission familiale. « Le fait que j’aie repris l’exploitation familiale par transmission fait que l’on m’a essentiellement identifié comme la fille de mon père dans mon activité professionnelle débutante » explique ainsi Solange Sinoir, jeune maraichère dans le Vaucluse.

« Chambouler les représentations »

Si la situation des femmes dans l’agriculture s’améliore, l’égalité n’est pas encore d’actualité. L’accès au foncier, élément indispensable pour le démarrage d’une activité agricole en toute indépendance, reste par exemple l’un des éléments dans lequel les femmes restent fortement défavorisées par rapport aux hommes. Elles possèdent peu de biens fonciers en propre. « Même lorsqu’elles sont issues d’une famille d’agriculteurs,  l’héritage leur est défavorable, sauf en l’absence d’un frère disposé à reprendre l’exploitation », pointe une étude du Ministère de l’Agriculture de mars 2012. Même constat hors du cadre familial : « L’effort à fournir pour convaincre les banquiers est important car ces derniers émettent souvent des réserves sur la viabilité et la pérennité des projets d’installation », rapporte la même étude. En clair, les banquiers prêtent moins aux femmes car ils doutent de leurs compétences et de leur capacité à mener économiquement leur idée.

Autre point important pointé du doigt par Clémentine Come : la place des femmes dans les organisations professionnelles agricoles, et notamment dans les syndicats, FNSEA, Confédération Paysanne, MODEF ou Coordination Rurale. Autant de syndicats que toute oppose… Sauf sur la place qu’ils accordent aux femmes dans leurs instances dirigeantes. L’agriculture n’échappe donc pas au constat réalisé dans la société : les femmes sont encore marginalement présentes aux postes-clés et détiennent peu de responsabilités. Or, « il est important d’entrer dans ces instances en temps que femme pour chambouler les représentations et attirer l’attention » affirme Solange Sinoir, elle-même administratrice du groupement agricole CIVAM en région PACA avant de préciser que « beaucoup de femmes peuvent y être découragées à cause de regards portés sur elles ».

Les femmes, porteuses d’un nouvel élan agricole

De plus en plus de femmes brisent cependant le « plafond de verre » et s’installent dans les instances dirigeantes agricoles. Clémentine Come précise que  les femmes n’ayant pas accès au foncier au moment de leur projet d’installation reviennent souvent quelques années plus tard dans le milieu agricole enrichies de leurs expériences. Elles apportent donc des idées et des compétences nouvelles.

La place des femmes dans l’agriculture peut difficilement être distinguée de celle qu’elles occupent dans le reste de la société. Force est donc de constater que les femmes sont « victimes » du fait que les tâches familiales leur incombent encore souvent en grande partie. Cela pose un problème considérable pour leur évolution dans des activités agricoles généralement très chronophages. Pour résoudre ces problèmes, le développement de micro-crèches dans le milieu rural français, bien moins doté que le milieu urbain, est une solution mise en avant par le Centre d’Études et de Prospectives. De plus, pour faciliter l’installation des agricultrices d’un point de vue financier, le FGIF (Fonds de garantie pour la création, la reprise, le développement d’entreprise à l’initiative des femmes) leur permet désormais un meilleur accès aux prêts bancaires. A l’heure de l’agrandissement généralisé de nos exploitations agricoles, et donc d’une reprise de moins en moins accessible économiquement, cette question de l’accès au foncier des femmes apparaît donc centrale.

A l’heure où de nombreuses questions sur le devenir et la pérennité  de fermes et des filières agricoles se posent, sans être toute la solution au problème, une meilleure place de la femme en agriculture peut se révéler, en plus d’une question de justice sociale, l’une des conditions de renouvellement du modèle agricole français. « [Les femmes] impulsent une nouvelle dynamique, créant une rupture avec les règles dominantes », rappelle Sabrina Dahache, sociologue à l’Université de Toulouse. Se faire une place et apporter une autre vision de la production agricole est aussi le combat de Solange Sinoir : « Il serait dégradant pour toutes les femmes qui ont lutté avant nous de ne pas se battre dans le milieu agricole pour le respect des générations futures ».

L’agricultrice sera donc en grande partie l’avenir de l’agriculture !