Ils sont allés à la rencontre des néo-paysans

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Décider de changer de vie pour s'installer en agriculture est un phénomène de plus en plus fréquent. Enquête sur ce phénomène avec Sidney Flament-Ortun et Bruno Macias, auteurs de "Néo-Paysans, le guide très pratique", qui ont sillonné les campagnes pour leur étude.
Marisa Ortun
En premier lieu, comment définissez-vous les néo-paysans ?

Pour nous, les néo-paysans sont ceux qui après avoir eu une première vie en dehors du monde agricole, décident de changer de vie pour s’installer et développer un projet agricole fortement inspiré de l’Agroécologie et la Permaculture. Souvent l’image de néo-paysan est associée aux citadins totalement étrangers au monde agricole et aux ruraux non fils/filles d’agriculteurs qui font ce changement de vie. Mais il nous semble important d’intégrer également les enfants d’agriculteurs ayant étudié et travaillé la majorité de leur vie loin de l’agriculture avant de décider de devenir paysans, dans la mesure où cette démarche s’accompagne d’un changement de modèle de l’exploitation familiale vers un modèle plus respectueux de l’environnement et plus proche de la logique paysanne qu’industrielle.

 

D’après les enquêtes que vous avez menées, peut-on décrire un profil type de néo-paysans ?

Leur profil est très varié et il est difficile d’en dresser un portrait-robot, ils viennent de tout horizon et avec des motivations multiples. Néanmoins, certaines similitudes se dégagent des enquêtes que nous avons pu mener. Ils s’installent souvent après la trentaine, sont des femmes dans près de la moitié des cas et se tournent vers une agriculture proche de la nature dans une logique de prendre soin de l’environnement, de la biodiversité et de l’humain. Lorsque nous interrogeons ces néo-paysans sur leurs motivations et aspirations, nombreux sont ceux qui nous disent que le monde du travail actuel ne les comble pas et qu’ils souhaitent donner un sens à leurs actes pour avoir la sensation de se sentir réellement utiles et ne pas être un simple maillon d’une chaine, remplaçable du jour au lendemain. Cette démarche traduit leur envie d’être acteurs du changement, de retourner aux choses essentielles, de s’épanouir dans leur quotidien et de mener un projet professionnel qui ait du sens pour eux.

 

Est-on en mesure de quantifier aujourd’hui le phénomène de néo-paysans ?

Aujourd’hui aucune statistique officielle ne comptabilise les néo-paysans en tant que tels. En revanche, il existe des études qui montrent qu’environ 30% des installations aidées se font aujourd’hui en dehors du cadre familial. Ce phénomène est donc loin d’être marginal. Il existe de nombreux jeunes, et moins jeunes, qui souhaitent devenir agriculteurs. Les structures d’accompagnement à l’installation agricole le remarquent bien, de plus en plus de personnes aux profils « atypiques » les contactent pour devenir agriculteurs. C’est un phénomène vaste qui ne touche pas que la France, en Espagne par exemple, où nous avons réalisé des études sur ce thème, nous avons observé à peu près les mêmes résultats.

 

Qu’apportent d’après vous les néo-paysans à l’agriculture ? Sont-ils un facteur de changement en agriculture ?

En premier lieu, il faut se rendre compte qu’il y a aujourd’hui un réel problème de renouvellement générationnel dans le monde agricole. Plus de 200 fermes disparaissent chaque semaine en France et ce phénomène, qui concerne tous les pays d’Europe, n’est pas près de s’arrêter puisqu’en 2013, 39 % des agriculteurs français avaient plus de 55 ans pour seulement 9 % de moins de 35 ans. D’un autre côté, les consommateurs sont de plus en plus exigeants concernant l’origine et la qualité de leur alimentation ce qui se traduit notamment par une augmentation de la demande de produits bio. Or, cette production biologique demande plus de main d’œuvre. Pour faire face à cette demande, l’agriculture française doit se transformer et a besoin de sang neuf et de main d’œuvre. C’est sur ce créneau que les néo-paysans ont beaucoup à apporter à la profession et c’est justement cette agriculture plus respectueuse de l’environnement et à haute valeur ajouté qui les attire.

L’intégration des néo-paysans, un parcours parfois difficile (dessin : Marisa Ortun)
Comment les néo-paysans arrivent –ils à s’intégrer dans le monde agricole ? Comment sont –ils vus par le reste de la profession agricole ?

L’intégration des néo-paysans dans le monde agricole n’est pas toujours évidente. Néanmoins, dans les cas que nous connaissons, la cohabitation se passe bien si les néo-paysans font preuve d’humilité et ne tentent pas de rentrer en conflit ou de critiquer le travail des autres agriculteurs et qu’ils ne rentrent pas en concurrence directe sur les mêmes marchés. Les néo-paysans avec qui nous travaillons nous ont raconté qu’au départ il y avait une méfiance ou une incompréhension de la part de la profession agricole mais ceci s’est estompé au fil des années, au fur et à mesure que les agriculteurs de longue date ont pris conscience des efforts fournis par les néo-paysans et qu’un dialogue s’est établi. Travailler à cette intégration est primordial aussi bien pour chaque installation individuelle que pour la transition agricole en général car même si les néo-paysans apportent des idées et du sang neufs, le changement de modèle agricole devra aussi s’appuyer sur les agriculteurs traditionnels qui constituent la majorité des agriculteurs.

 

Ils partent avec de forts désavantages

Les néo-paysans réussissent –ils mieux que les agriculteurs issus de familles du milieu ? quels sont les facteurs pouvant entraver leur réussite ou au contraire la favoriser ?

Non, ils ne réussissent pas mieux que les agriculteurs issus de familles du milieu. Ils partent avec de forts désavantages comme le difficile accès au foncier qui les pousse à s’installer sur des surfaces plus modestes ; ne pouvant pas bénéficier des connaissances et expériences des générations précédentes, ils mettent plus longtemps à trouver l’équilibre financier.

Mais ces lacunes constituent aussi leur force. Ce difficile accès au foncier les mène à développer une agriculture à plus haute valeur ajoutée : label bio, production à forte valeur ajoutée comme le maraichage, transformation, vente directe… L’absence de formation conventionnelle ou de parents agriculteurs peut leur retirer la pression de devoir faire comme leurs prédécesseurs, leur permet d’innover et d’appliquer leurs idées quitte à se tromper parfois. Pour réussir ils devront souvent faire des compromis entre leurs aspirations (ex : absence de mécanisation…) et la réalité économique et physique du métier.

 

En dernier lieu, avez-vous un conseil à fournir, riche de votre travail,  aux éventuels futurs néo-paysans qui nous lisent ?

Le parcours pour devenir néo-paysan est très long et semé d’embûches. Pour réussir son installation nous recommandons tout d’abord de ne pas se précipiter. Il est important de se former, de lire, de se documenter mais aussi indispensable de passer du temps sur le terrain afin de rencontrer des gens étant passés par là, de visiter des fermes ressemblant à celle que l’on souhaite construire et surtout de tester l’activité en faisant des stages ou du WWOOFing. Cette étape est clé afin de se confronter à la réalité du métier avant de se lancer, afin d’en appréhender au mieux toutes les facettes et ne pas démarrer avec une conception trop idéalisée de la vie agricole.

Un autre point important à l’heure de construire son projet de ferme est de bien vérifier sa viabilité, car s’il n’est pas viable sur le papier il y a peu de chance pour qu’il le soit dans la vie réelle. C’est pour cela qu’il est indispensable de se confronter à des cas réels et d’avoir des ordres de grandeur réalistes en tête.

Néo-Paysans, le guide très pratique (éditions La France Agricole)